Le lendemain est un palais d’eau
Juanita Onzaga
Belgique, Méxique, Colombie | 2022 | 15′
Italien / espagnol
Ici, il n’y a pas d’eau sinon des roches
Des roches et pas une goutte d’eau et le chemin sableux
Le chemin qui serpente en haut, là-bas, entre les montagnes
Qui sont des montagnes de roches sans eaux
S’il y avait de l’eau, nous nous arrêterions de boire…
La terre vague
T.S. Eliot
Le pas lent, mais fermement décidé, Juanita Onzaga donne forme à une œuvre qui donne envie. Ses obsessions sensorielles et politiques se sont matérialisées progressivement en seulement 3 courts-métrages : La jungle te connaît mieux que toi-même (2017), Notre cri de guerre (2018) et Le lendemain est un palais d’eau (2022), sortis en salle respectivement à Berlin, Cannes et à Rotterdam. Dans sa troisième réalisation audiovisuelle, elle nous propose un voyage vers un futur de terres arides, où une Sibila est la dernière habitante d’une planète dépourvue d’eau.
Le noyau du voyage est l’imagination. Le pouvoir qu’elle dégage et à laquelle on ne donne pas encore sa juste place. Ce sont des visons du monde qui nous permettent de construire un futur en même temps qu’un passé. Évoquer depuis le présent les possibilités d’un commencement sans fin et une fin qui est toujours un point de départ. ¿Notre salut passerait-il par une nouvelle perception de notre monde ?
La Sibila est un être qui ressent la douleur depuis l’intérieur de la terre, elle sait que le cœur de celle-ci est en train de brûler en même temps qu’il bat. Elle déambule par des passages inhospitaliers tout en nous racontant la façon dont tout se termine, pour recommencer ensuite. Nous l’accompagnons à errer à travers un sol solide et craquelé qui met en relief l’absence de pluie depuis 3 ans. Les images filmées en Super8 nous mettent face à l’idée d’un futur qui a déjà eu lieu, en même temps que le choc du présent fait que la sécheresse de l’environnement pénètre nos entrailles. En ce temps et lieu sans nom, la promesse de la technologie, comme outil salvateur, est inexistante, l’électricité est un souvenir lointain et les machines, des objets obsolètes.
Cependant, après la poussière asphyxiante et l’aridité, nous nous glissons par un tunnel sonore qui connecte le son du vent au bruit de la mer. La lune et les bruits de la nuit nous plongent dans un autre espace. Un songe ? Un souvenir ? Un désir ? Les temps et les espaces deviennent diffus, les coordonnées s’interrompent. Néanmoins, le bruit des dernières gouttes d’eau sur terre exerce un appel lointain et ancestral. L’eau palpite encore dans des recoins occultes. Le liquide de la vie nous offre d’étranges visions, un voyage rempli de sensations hypnotiques, un pacte mystique selon lequel la terre pourrait étancher sa soif et donner la vie.
Le lendemain est un palais d’eau est une proposition cinématographique immersive. Des formes, des espaces, des sons, des voix et des textures se mélangent pour ébranler nos capacités sensibles. Ce n’est pas une invitation à habiter d’autres mondes possibles. Il s’agit plutôt d’autres mondes qui s’agrippent à notre peau, en pénétrant nos oreilles, en imprégnant nos yeux. C’est une de ces œuvres qui se magnifient en étant vues au cinéma et qui perdent leur puissance sur un petit écran à la maison.
Quand Juanita Onzaga se réfère à son travail, elle le qualifie de futurisme ancestral (ou archéofuturisme) une espèce de connexion mythique entre des forces primitives et le devenir historique. Ici, la réalité ne se présente pas comme un cumul de mouvements logiques et calculés, mais plutôt comme la force inhérente de connexions intuitives même si arrêter de prioriser la logique ne signifie pas forcément tomber dans l’abstraction dépourvue de sens. Il magnifie plutôt les visions, les rêves, la création et les possibilités d’interagir avec le monde en donnant la priorité à l’intuitif.
Au moment de réaliser cette œuvre archéofuturiste, ce qui est clair pour Juanita Onzaga, comme elle a pu le démontrer dans ses travaux antérieurs, c’est l’importance de diriger et d’explorer le pouvoir du son. Bien consciente que le cinéma, ce n’est pas seulement l’image, elle profite du son pour octroyer de la corporéité et du volume à ce que nous regardons. Le lendemain est un palais d’eau est un voyage au ton mystique qui nous fait pénétrer dans des visions millénaires grâce au son et à la liberté avec laquelle l’image fait d’autant plus de connexions guidées par des intuitions que par des causes et des effets. Le son cohabite en parfaite symbiose avec des images qui, parfois, ne peuvent pas être déterminées avec exactitude, mais qui conspirent pour nous offrir un voyage fort dans l’espace et dans le temps.
Avec son troisième court-métrage, il est évident que Onzaga ne veut pas se laisser cataloguer et prend un malin plaisir à détruire toutes les étiquettes que le cinéma a voulu lui coller sur le dos. Elle étend ses propres limites, tout en restant libre au moment de prendre des risques. Il est facile d’accéder aux terrains expérimentaux et d’embrasser le caprice et la paresse, mais Le lendemain est un palais d’eau s’en extirpe en se préoccupant de chorégraphier avec soin le mouvement de chaque forme et de chaque son, tout en offrant une réflexion sur le pouvoir de l’imagination, de l’intuition et du sensible. C’est un ciné qui élargit l’écran et qui flirte avec l’infini.
(Juan Pablo Franky)