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PACCPA10 Ekobio

Rotterdam 2022 : EKOBIO de Elkin Calderón Guevara et Diego Piñeros García

Écrit par Mónica Delgado

Traduction par Nina Cousset

Septembre 2022

Article paru dans le site desistfilm.com – 2022.01.30

Dans la section Short & Mid-length: Artists’ Moving Image du dernier festival international de cinéma de Rotterdam on peut voir EKOBIO, court-métrage colombien du collectif d’artistes formé par Elkin Calderón Guevara et Diego Piñeros García, résultat d’un projet multimédia basé sur les textes de l’écrivain chercheur afro Manuel Zapata Olivella, décédé en 2004. 

A partir d’extraits du roman épique “Changó, el gran putas” (1983) de Zapata Olivella, les artistes explorent le sens de l’identité, de l’appartenance et de la mémoire à partir d’un état et d’un point de vue liminaire des cultures africaines, depuis un territoire spécifique et actuel : les îles de Bocachica et Ararca, à Carthagène, qui conservent encore des vestiges de bastions coloniaux et une résistance face à leur vision archaïque concernant la diaspora. Cette corrélation ou mise en tension du présent à travers la voix de la communauté avec cette mémoire architectonique renvoyant à un passé d’oppression, voilà le cœur de ce court-métrage qui cherche aussi à interpeller et faire réfléchir sur le processus de filmer et d’enregistrer depuis l’extérieur. 

L’œuvre commence par une déclaration, ou en tout cas par la signification du mot « Ekobio », que Zapata Olivella assume et explore dans quelques passages de son essai. « Il découle du besoin de trouver un terme qui identifierait le noir sans employer ce mot. Chez les peuples africains, où l’identité ne s’exprime pas par la couleur de la peau, il serait absurde de l’utiliser (…) Le sens de ce terme s’est de plus en plus étendu, en touchant même des personnes qui n’étaient pas d’une ethnie noire, mais qui par leur comportement en assumaient sa défense. »

Et cette citation au début du court-métrage propose deux lectures possibles de ce que nous allons voir à travers la figure de l’ekobio : d’un côté, la défense d’une identité et la résistance dans un processus de colonisation dont les retards restent en vigueur, à travers le classicisme, le racisme, les migrations, la pauvreté dans les communautés afro à Carthagène. Et l’approche de cette prémisse à partir d’autres composantes sociales telles que la présence des picó, haut-parleurs géants utilisés dans les fêtes de rue dans les quartiers populaires, avec un design coloré typique, et qui dépeint culturellement un brassage social et musical autour de la diaspora africaine. Et d’autre part, le point de vue ou la position des artistes, qui sont aussi perçus comme des ekobios en défendant les revendications des personnages qu’ils enregistrent.

En utilisant certains dispositifs du documentaire, de la citation, ou encore de l’apparition de l’envers des caméras, les auteurs associent une couche d’enregistrement des personnages en relation avec un espace qui les façonne, alors qu’une autre couche est là pour exposer les sentiments des acteurs et actrices qui récitent les extraits de l’œuvre de Manuel Zapata Olivella. Apparait alors non seulement la fibre d’un texte littéraire couvrant la dimension visuelle de la main des personnages, mais c’est aussi que peu à peu EKOBIO se transforme en une matérialisation d’une perspective critique sur les représentations, comment les communautés africaines et d’héritage africain ont été enregistrées dans le monde audiovisuel. Et aussi sur ce que les artistes peuvent faire depuis leur place « ekobio » afin de matérialiser cette résistance.  

Si dans le roman de Zapata Olivella la source principale est une critique de l’eurocentrisme, tant dans sa proposition historiciste que dans l’analyse d’un passé colonial depuis cette archéologie de l’esclavage, les artistes Calderón et Piñeros font appel à cette proposition pour démanteler justement le lieu d’énonciation et les modes de représentation dans l’audiovisuel, par conséquent faire appel à la culture musicale du picó est une alternative face à la ruine des fortins ou des fabriques d’exploitation coloniale.

Section Short & Mid-length IFFR 2022
Réalisation : Elkin Calderón Guevara, Diego Piñeros García
Scénario : Elkin Calderón Guevara, Diego Piñeros García, Belmir Caraballo Díaz, Belmir Caraballo Díaz, Evenazar Blanquicett Godoy, Alexandra Castro, Seny Blanquicett
Photographie : Elkin Calderón Guevara, Diego Piñeros García
Editeurs: Elkin Calderón Guevara, Diego Piñeros García
Son: Eduardo Cote
Musique: Álvaro Cuéllar
Colombie, 2022, 23 min