The Smiling Lombana est le second long-métrage de la jeune cinéaste Daniela Abad. Ayant déjà consacré un film documentaire à son grand-père paternel (Carta a una sombra, coréalisé par Daniela Abad et Miguel Salazar , 2015), Daniela Abad plonge une nouvelle fois dans son passé familial.
Route déserte, une vieille voiture avance en zigzag dans la nuit noire et profonde. Daniela Abad, au volant de son nouveau film documentaire, tente de conduire le spectateur à travers les méandres du passé de sa famille maternelle. Après plusieurs verres de whisky qui donnent le courage nécessaire à la grand-mère de la cinéaste pour révéler ses souvenirs enterrés, l’enquête commence, à leurs côtés, sur le grand-père maternel que Daniela n’a rencontré qu’au chevet de sa mort. Car bien que tout le monde connaisse le nom de Tito Lombana, celui-ci est à tout jamais évincé des conversations. Pourquoi ce tabou familial ? Qu’a bien pu faire Tito Lombana pour que la mère de la cinéaste ait caché durant vingt ans l’existence de cet homme à sa fille ? Daniela est déterminée à fouiller les souvenirs du passé. À l’écran, elle partage les photographies d’album et les films en super8 de famille au grain et aux couleurs d’une époque plus heureuse pour cette famille comme pour la Colombie tout entière.
En remontant le temps, Daniela reconstruit l’histoire d’amour de Tito et de sa femme par un étonnant montage d’archives familiales. Les visages séparés dans différentes photographies sont à nouveau rassemblés dans le film. Tito regarde Laura. Laura regarde Tito. Le commentaire de Laura en off donne vie aux corps figés dans le noir et blanc du passé. Nous revivons leur histoire car plus qu’un documentaire, The Smiling Lombana est un récit de vie qui nous plonge au cœur de l’intimité de cette famille comme si la réalité était devenue fiction. Daniela Abad justifie d’ailleurs une structure narrative classique empruntée à la fiction pour réaliser son documentaire. Voici donc l’histoire de Tito Lombana. Un enfant de famille modeste qui a été reconnu comme le plus grand génie artistique de Colombie. Et comme toute tragédie familiale, l’ascension de Tito Lombana précède sa chute
C’est les années 1960, Tito Lombana est un sculpteur illustre, adoré de sa femme et de ses filles. La famille a quitté l’Italie pour s’installer en Colombie. Tito l’avait quittée dans la haine – Adios Colombia de mierda – mais les années 1960 sont une période d’espoir pour cette famille comme pour le pays en plein essor économique. Ainsi, Tito est un prince de retour au pays. Son empire y est établi très rapidement. Le succès de la sculpture Los Zapatos viejos à Carthagène lui donne une confiance, pourrait-on dire aveuglante. En effet, dix ans plus tard, Tito n’est plus le même. Le désespoir dans la voix de Laura nous révèle un homme devenu distant avec sa famille, un homme orgueilleux et vaniteux qui compare l’amour à celui que l’on peut porter à une chemise.
Lorsqu’on s’en lasse, on la jette pour en prendre une autre. Mais cette tragédie familiale ne se limite pas à un amour vacillant. Tito n’est pas qu’un homme dom Juan, il est l’ombre des horreurs qui ont eu lieu au cours des années 1970 en Colombie. Le film devient alors autre chose que le portrait attendu. C’est désormais une contre-enquête sur l’affaire The Smiling Lombana, nom attribué à Tito aux États-Unis. Des coupures de journaux, des extraits de documents judiciaires nous feront découvrir les raisons réelles qui ont poussé Daniela Abad à dépeindre cet homme qui déchira une partie de sa famille.
Bertille Joubert