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« TRANSFARIANA UN MONSTRUO GRANDE »

Écrit par Diana Prada Rojas

Cinéaste et journaliste culturelle

Traduction par Charlène Brault

Octobre 2023

« Transfariana un monstruo grande» est une rencontre de luttes. Un corps hybride. Un paysage de palmiers. C’est un quartier au milieu de la jungle. Un mot fondateur. Une possibilité de jouissance et de liberté. L’homme nouveau qui cesse d’être un homme. C’est un monstre.

En juillet 2016, les membres des pourparlers entre le gouvernement colombien et les FARC, réunis à La Havane, ont annoncé l’intégration des questions de genre comme principe transversal dans l’accord de paix. Je me souviens du tollé social que cela a provoqué dans les secteurs conservateurs du pays. La campagne du « non » au référendum a imprégné cette décision de moralisme et l’a violemment utilisée dans le cadre de sa stratégie de plaidoyer contre les accords. Elle a répandu la fausse menace de la mise en œuvre d’un « État homosexualisant » et est partie en croisade pour la « défense de la famille », ce qui a incité certains citoyens à voter « non » et à attaquer de manière agressive la communauté LGBTQI+. À l’échelle internationale, cette décision a été célébrée comme un tournant pour les processus de paix à venir et comme une reconnaissance de la lutte permanente des mouvements des femmes et de la population LBTQI+ pour l’égalité des genres.

« Transfariana », un documentaire du réalisateur français Joris Lachaise, projeté dans la section Panorama de la Berlinale de cette année, révèle le moment exceptionnel dans l’histoire récente du pays où ces deux luttes apparemment éloignées convergent. Basé sur l’histoire d’amour entre une ancienne travailleuse du sexe transgenre, qui purge une peine excessive et injuste de 60 ans pour des délits mineurs, et un prisonnier politique des FARC dans une prison de Bogotá, le film propose une rencontre entre des militants de la communauté LBGTQI+ et d’anciens militants du groupe guérillero. La relation de Laura et Jaison génère des conflits et des doutes au sein des structures qui les entourent : la prison, les FARC, la table des négociations, la société colombienne. Que faire avec les personnes qui ne se conforment pas aux normes : ajuster les normes ou punir les sujets ?

La réalisation de « Transfariana » a duré six ans et cette durée se manifeste de différentes manières dans le film. La temporalité est marquée par la signature des accords de paix, un avant et un après qui, cependant, dans la construction narrative, ne se déroule pas de manière linéaire. Il existe une errance spatio-temporelle : un va-et-vient entre le passé et le présent ; entre la prison, Santa Fé (le quartier rouge de Bogotá) et la jungle. Le paysage en tant qu’espace symbolique de la guerre acquiert également la dimension d’un espace métaphorique de résistance. Des images de jungle, de rivières et de montagnes couvertes de palmiers à cire (l’arbre national) reviennent tout au long du film, comme une évocation de la violence vécue dans ces lieux et, en même temps, un éloge de leur diversité.

Un autre aspect notable est la proximité avec les personnages, qui est évidente dans le travail conjoint et l’accès de la caméra à des espaces intimes. La participation de Jaison en tant que cocréateur d’images se filmant lui-même dans son quotidien au sein de la prison est une manière d’inclure le récit de l’autre dans la construction de l’histoire. D’autre part, le documentaire met également en scène Daniela et Max, une femme trans et un homme trans, et enregistre, en plus des interventions publiques, des moments de leur vie de couple. Daniela est la fondatrice de la Red Comunitaria Trans (le réseau communautaire trans), un collectif qui lutte pour les droits de la population trans se consacrant au travail du sexe et rend visibles des cas comme celui de Laura, et Max est un militant de la communauté LGBTQI+. La transformation de leurs corps, la famille qu’ils ont choisi d’être et le réseau amical qu’ils partagent sont une déclaration de liberté, et il n’y a rien de plus révolutionnaire et inconfortable pour toute structure que la jouissance de choisir.

Le mot « Transfariana » définit l’être multiple. Et cette magnifique capacité à réunir des formes diverses dans un seul corps s’exprime dans la matérialité du film. La variété des textures de l’image, correspondant aux différents appareils utilisés pour filmer, permet une association temporelle. Mais au-delà de ça, le montage cherche à contraster les registres : qui se trouve derrière les images, que racontent-elles et comment ? Il y a du matériel filmé par le réalisateur et du matériel non filmé par le réalisateur, chacun avec son propre langage : les archives des FARC dans leur vie quotidienne dans la jungle, les images de Jaison au sein de la prison prises au téléphone portable et les enregistrements numériques de Lachaise d’une conversation avec Laura, des habitants du quartier de Santa Fé et de Jaison dans son processus de réintégration à la vie civile. Les tensions entre les images d’origines et de formats différents résonnent avec la lutte entre l’espoir de reconnaissance des personnages et une réalité politique qui résiste au changement.

La force de la révolution émerge du documentaire. La force de l’alliance des exclus, de la convergence des luttes et de la création de liens de solidarité. « Transfariana » lance une invitation à regarder l’autre, à l’écouter, à faire une action de transfert. À un moment du film, une ancienne combattante des FARC dit que la guérilla a été socialement considérée comme un monstre, tout comme la communauté trans. « Transfariana » serait alors un grand monstre, une union qui donne une tournure merveilleuse à sa charge négative et fait de la monstruosité une capacité libératrice, un mécanisme de recréation de soi en tant qu’individu et en tant que collectif. Le monstrueux comme rupture politique et possibilité de changer de paradigme de pensée. Regarder l’autre et le vouloir libre, dans toutes ses combinaisons et variations possibles. Honorer son acte courageux d’exister.