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PACCPA10 Todas mis cicatrices se desvanecen en el viento

Je sais bien la source

Écrit par Diego Cortés

Traduction par Nina Cousset

Octobre 2022

Avant l’écriture de ce texte, le poème « Je sais bien la source » de Saint Jean de la Croix a refait surface dans ma vie après la conversation avec un ami. J’ai relu le poème et ensuite, par le fruit du hasard ou du destin, je me suis mise à écrire sur « Toutes mes cicatrices disparaissent au vent ». A présent la lecture que je fais du film se mélange avec celle du poème, ou plutôt, les éléments qui composent le poème sont ma feuille de route pour parcourir le court-métrage.

Dans le poème, la source et la nuit sont les éléments essentiels pour la relation qu’entretient Saint Jean avec Dieu : 

Je sais bien la source qui coule et court,
malgré la nuit.

1. Cette source éternelle est hors de vue,
je sais bien là où est sa venue,
malgré la nuit.

2. L’origine n’en sais, car n’en a point,
mais je sais que toute origine en vient,
malgré la nuit.

La source, qui est le Dieu même, est invisible et cependant, malgré que ce soit la nuit, Saint Jean sait où elle se trouve. Dans ce désir de connaître Dieu, nous assistons à un voyage vers l’intérieur de l’être humain, dans la reconnaissance que le divin est partout, pour connaître Dieu, il faut chercher aussi en soi-même. Comme pour la lecture du poème de Saint Jean, en voyant ce film nous assistons à un voyage au plus profond d’une vie qui, bien qu’éloignée de la nôtre, est la nôtre malgré tout, car c’est bien nous, guidés par la source de lumière des particules qui composent le court-métrage, qui faisons le voyage.

Au milieu de l’obscurité, des particules de lumière tournent autour d’elles-mêmes en formant une masse peu uniforme qui se déplace de façon irrégulière. De loin, on dirait des oiseaux, et de près, on pourrait penser à des lucioles. J’aime imaginer aussi qu’il puisse d’agir de poussière brillante, de débris, de pétales d’un jardin de fleurs, ou encore de la desquamation de la peau. En revanche, réunies elles sont une source de lumière sans origine ou sans fin qui illumine des fragments de souvenirs de la mère d’Angélique.

La nuit et la source sont les éléments formels à travers desquels je m’approche de ce court-métrage, qui pour moi s’est imposé comme un espace de rêverie témoin d’une vie alors partagée entre le témoignage du film et moi. La source, ce sont les lumières et le vent qui voyage à travers l’espace. La source de lumière est source de vie. Et la nuit est l’espace noir qui contient et occulte un monde paraissant plus grand que ce que nous voyons, ou que ce que les lumières nous laissent voir.  

Avant l’apparition de la masse de particules qui composent tout le court-métrage, la première chose que nous entendons est le souffle du vent dans l’immensité du noir (la nuit). On se rend vite compte que le vent dirige les particules de lumière (la source), lesquels peu à peu créent les ruines d’un monde, paradoxalement, en construction. Nous assistons à une espèce de genèse dans laquelle le vent souffle et donne vie à une vie déjà vécue qu’il convient de revisiter. Le souffle de la vie qui donne une âme à la matière créée, dans ce cas, ranime ce qui a déjà été vécu (les souvenirs) avec l’intention de revisiter des espaces qui désormais créent de nouveaux liens affectifs et corporels entre la mère, Angélique et nous.    

5. Sa lumière jamais n’est obscurcie,
et je sais que tout éclat en surgit,
malgré la nuit.

6. Je sais qu’ils sont si puissants ses courants,
qu’ils baignent tout, l’enfer, les cieux, les gens,
malgré la nuit. 

Tant dans le poème que dans le court-métrage, la source est tout ce qui est créé. Nous observons des particules de lumière verte qui nous montrent toujours des espaces extérieurs remplis de nature. Une espèce d’Eden informatisé et à peine entrevu. C’est un vert strident, fort, artificiel, peu naturel, un vert que nous ne pouvons voir que sur écran. D’autre part, les autres particules, rouges, nous montrent des espaces intérieurs. Ils peuvent être rouge sang, rouge enfer, rouge artificiel, c’est un rouge que nous ne pouvons voir que sur écran. Ce sont des couleurs qui divisent les espaces un peu comme nous pourrions diviser les états ou les transits de l’âme humaine : l’enfer et la terre. Nous circulons entre eux à la recherche de quelque chose, qui à mon sens pourrait être le ciel ou bien la mort. La mort totale ou celle d’à peine un fragment de nous.  

En plus de cette dichotomie, le texte est un troisième élément qui emplit le voyage de sens et qui apparaît uniquement sur les particules rouges. « C’était quand ils ont voulu acheter un frigo pour la maison » est inscrit à l’écran au début du film sur une cuisine en rouge et moi, avec ma propre voix, j’ai lu et créé le parcours. Tout le court-métrage est un parcours avec une caméra subjective qui contribue à renforcer la sensation que par moments c’est nous qui parlons. Le texte à l’écran c’est la voix de la mère, celle d’Angélique et la nôtre. Ensemble, nous marchons vers le même espace. La voix aussi est créatrice. Quand j’ai vu le court-métrage pour la première fois, je me suis senti hypnotisé, je suis entré dans un espace et un temps sans trop de rapport avec la progression linéaire, avec les clartés de cause et d’effet, mais plutôt dans un état proche de la répétition changeante, de l’oration. Le poème de Saint Jean est un poème avec lequel on prie ; son texte, comme celui de « Toutes mes cicatrices disparaissent avec le temps », sont des moyens de connexion avec l’intérieur (avec Dieu et les autres).

“Parfois je me cachais dans la plantation de café jusqu’à disparaître au vent » voit-on aussi écrit à l’écran, et c’est évident que le vent ici non seulement est source de vie mais également rencontre avec la guérison de soi-même. Le vent, tout comme Dieu, a le pouvoir de donner et ôter la vie. Il donne, guérit et transforme. Le vent, on ne le voit pas réellement, mais on voit la cause de son potentiel initial : il produit du mouvement pour d’autres objets en réussissant, dans certains cas, à les faire changer d’état, et entre autres, à entrer dans des lieux que nous ne voyons plus. Les particules qu’Angélica a construites au milieu de sa relation avec sa mère se transforment et disparaissent, elles sont générées puis elles partent. Poussées par le vent, elles laissent derrière elles des lieux et des empreintes. Leurs traces ne seront plus au même endroit, mais continueront à marcher sans fin jusqu’à ce que certaines ne reviennent plus. Cependant, il semble que pour libérer les blessures au vent, elles doivent être creusées par une décision propre, entre mère et fille.

Je crois que le vent qui fait bouger les particules de lumière d’Angélique illumine la source invisible de Saint Jean pour la révéler comme une caresse qui touche et bouge tout ce qui est créé. Comme Saint Jean, dans la solitude de l’enfermement nous pouvons entrer en nous-même afin de trouver la source intérieure qui nous aime, cependant, c’est dans la relation que nous entretenons avec les autres, ici dans la relation qu’Angélique entretient avec sa mère, que nous pouvons soigner les blessures que le vient nous amène et emporte avec lui. A la fin du court-métrage, on observe l’étreinte d’une mère qui s’occupe de sa fille. Et c’est dans l’étreinte, dans laquelle nous soutenons l’autre qui en même temps nous soutient, que nous pouvons entrevoir la source invisible qui guérit, là nous ne voyons pas vraiment l’autre avec les yeux, mais nous le sentons (et nous nous ressentons) avec tout notre corps.

Ce film, comme le poème, est un flux éternel et constant en compagnie. J’imagine le souffle que produit l’autre en soufflant ou en disant un mot et je me réjouis de voir l’autre et de pouvoir voyager avec lui. Ce court-métrage, aux airs de voyage transcendantal et sacré, imprime en nous des sensations terrestres, une impulsion qui nous invite à traverser une vie qui s’achève bientôt. Nous n’assistons pas à une prière pour la vie éternelle mais au soin de douleurs finies. Tout comme Saint Jean était en prison au moment d’écrire ce poème, en tant que spectateur, nous sommes également emprisonnés par les souvenirs racontés à l’écran. Cependant, le texte et l’image deviennent des sources apaisantes.

10. C’est là qu’on appelle les créatures,
qui boivent de cette eau,
même en obscur, malgré la nuit.

11. Cette source vive que je désire,
c’est de ce pain de vie que je la tire,
malgré la nuit.