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PACCPA10 Entre perro y lobo

Il nous reste tant de dents à montrer

Écrit par Valentina Giraldo Sànchez

Traduction par Vincent Patouillard

septembre 2022

Entre Perro y Lobo, un long-métrage d’Irene Gutiérrez (Ceuta), explore l’écho laissé parle mythe de la révolution cubaine qui résonne encore aujourd’hui chez trois ex-combattants de la guerre en Angola. Estebita, Miguel et Alberto se rendent chaque jour dans la Sierra Maestra pour passer dans une réalité où ils sont encore des guérilleros. Le film est une coproduction entre la Colombie, Cuba et l’Espagne et à participé à d’importants festivals autour du monde.

Valentina Giraldo à écrit ce texte évocateur et poétique inspirée par le film et la littérature du gran poète José Martí.


Il y a quelque temps, j’ai rêvé que j’étais dans une jungle avec les quatre tigres de la couverture sous laquelle je dors.
Les quatre tigres m’aidaient à faire une couverture de feuilles pour le froid.
Au loin, on entendait le tonnerre.
Nous n’avons jamais fini la couverture.
Moi, j’étais fatiguée.
Les tigres non.
Dans mon rêve, je me souvenais d’un autre rêve passé : je pleurais parce que je devais quitter mes filles pour aller à la guerre. Mon tissage de feuilles serait un camouflage.

Estebita, Miguel et Santana sont des vétérans de l’opération Carlota au cours de laquelle, du milieu des années 1970 à la fin des années 1980, les troupes cubaines ont soutenu le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA). Ils sont tous les trois dans les montagnes de la Sierra Leone, répétant la routine de la guerre au milieu des arbres.

Couvrir son corps de boue
se confondre avec l’arbre
peut-être en faire partie
parler des jambes perdues

Couvrir son corps de boue
se confondre avec l’arbre

Charger le fusil
peut-être devenir partie de l’arbre
charger la poudre

Couvrir son corps de boue
Couvrir son corps de boue
Tisser un camouflage infini

À l’ouverture du film, un groupe d’enfants chante en avant Angola ! révolution du peuple. Juste après, un corps se dresse sous les feuilles. Un corps couvert de broussailles. Un corps caché. Les sons des oiseaux et des insectes deviennent une litanie prolongée.

Pleins de fausses paroles tandis que nous marchons,
entre les offres et les slogans et les rythmes perfides,
par amour pour ma foi et pour la vie à venir,
je chante la poésie de mes compagnons.

Les trois camarades de la montagne poursuivent le spectre de la révolution dans une séquence d’actions aussi simples que tristes. Le corps sort de la terre comme les racines d’un passé visitant une blessure présente. Le vertige de ne pas savoir ce qui vient après la révolution. L’étincelle rouge du coup de feu qui éclaire le chemin comme une petite étoile rouge qui s’illumine pour un instant fugace.

La forêt est traversée à tâtons. La lumière est à peine palpable du bout des doigts. Irene Gutierrez crée un ensemble d’images embrumées par le brouillard du temps et les questions. La cérémonie secrète du combat se répète. Je pense qu’il y a quelque chose dans le rituel de répéter une guerre entre les arbres. Presque comme si le paysage lui-même rendait possible cette messe exténuante du corps qui ouvre la forêt, de la machette qui coupe les branches. Peut-être est-ce la jungle elle-même qui recrée le passé, peut-être y a-t-il quelque chose que nous n’avons pas tout à fait compris. Les arbres décident de nicher un chemin indéterminé dans le ventre de la terre.

La vérité est plus forte que n’importe quelle chaîne.
Rien ne crie plus fort qu’un vers prisonnier :
Comme la chanson se lasse et l’art s’effondre,
Je chante la poésie de mes compagnons.

Entre un chien et un loup il y a une jungle de différence
Couvrir son corps de boue
se confondre avec l’arbre

Le corps qui marche entre des fusils.

un camouflage interminable
c’est peut-être le déguisement d’arbre par le désir d’en être

Et alors la cérémonie secrète de l’histoire continue
Et puis le corps se couvre de boue et se camoufle
Et les bras se changent en houe
Sillons dans la terre
Sillons dans la terre
pour voir
si enfin
nous trouvons quelque chose
quelque chose

Labourer la terre pour ouvrir un sillon infini. Suivre le destin tracé par les arbres, chercher pourquoi tout semblerait se répéter. La révolution éternelle mais inachevée. Historique mais dans la défaite. Les corps de Estebita, Miguel et Santana comme témoignages de ce chant initial, en avant Angola ! révolution du peuple.  

Ils l’ont sculptée en sierras, en jungles, en montagnes,
en usines et en champs en journées d’acier,
en ravins obscurs où la mort a brillé
et en villes perdues sous les tirs.
On l’a sauvée du risque d’asphyxie
dans la chambre cynique du message avec peur.
Parce qu’elle a été écrite pour ranimer le courage,
je chante la poésie de mes compagnons.

Les images du film se succèdent et le corps tremble, tremble, tremble
et le corps tremble à nouveau, parce que, comme dit José Marti « dans la forêt, forêt je suis ».

Et tout à coup on sent le feu. Et soudain la montagne brûle. Et brusquement nous voilà, tout juste nées, la machette à la main. Et soudain l’histoire semble continuer, si terrifiquement intacte. La révolution continue comme un spectre sur le chemin de ces trois hommes. Je cherche peut-être à comprendre leurs signaux de fumée ou c’est à quoi je pense quand je les vois couverts de brouillard. La jungle épaisse couvre l’horizon et sur son chemin étroit, la vie devient errante.

À la fin, rien ne se passe. Nous continuons à traverser la jungle du bout des doigts.
La couverture de feuilles n’est toujours pas finie.
Je vivrai pour la voir vivre sur la mort
et raser les murs de la terreur qu’ils ont érigés.
Parce qu’aujourd’hui encore il lutte contre ces malédictions,
Je chante la poésie de mes compagnons.[1]Les fragments en italique font partie du poème “Canto la poesía de mis compañeros” de Martin Micharvegas, arrangé en chanson par Soledad Bravo.

Nous continuerons jusqu’à la prochaine montagne, jusqu’à ce que le sillon soit fini ou jusqu’à ce que les arbres le décident. Nous continuerons, c’est qu’il nous reste encore tant de dents à montrer.

References
1 Les fragments en italique font partie du poème “Canto la poesía de mis compañeros” de Martin Micharvegas, arrangé en chanson par Soledad Bravo.