Cette année, la revue Desistfilm, née au Pérou et qui suit de nombreux événements cinématographiques, nous permet aimablement de partager quelques-uns de ses articles publiés initialement sur son site web. Nous vous présentons cet article écrit par Mónica Delgado. Sa version en espagnol peut être lue directement dans la revue : voir le lien ici. https://desistfilm.com/berlinale-2024-la-piel-en-primavera-de-yennifer-uribe-alzate/
Tant dans Memorias de un cuerpo que arde de la cinéaste costaricienne Antonella Sudasassi Furniss que dans le film colombien La piel en primavera, tous deux présentés lors de la récente édition de la Berlinale, on observe une approche -distincte- de la représentation des corps et des sensibilités féminines dans le cadre du cinéma latino-américain. Il est fascinant et précieux que ces deux films, issus de la région, proposent des lectures sur les femmes, faites par des femmes, qui, bien que non révolutionnaires, explorent des aspects rarement abordés.
Avec La piel en primavera, son premier long-métrage, la réalisatrice colombienne Yennifer Uribe Alzate nous offre une histoire urbaine, semblable à d’autres productions récentes du cinéma colombien telles que Un varón de Fabian Hernandez Alvarado, souvent projetées dans les festivals. ici, l’intrigue est centrée sur une jeune femme, mère et travailleuse, vivant dans un quartier populaire de Medellín. Sandra (incarnée par Alba Liliana Agudelo Posada), mère d’un adolescent de quinze ans et agent de sécurité dans un centre commercial, s’est consacrée à sa vie professionnelle et familiale, en négligeant toute relation amoureuse. Lors d’un trajet en bus, elle se lie d’amitié avec le chauffeur et, à travers ce flirt, commence à se percevoir différemment, influencée également par les conversations avec ses collègues, qui manifestent plus d’autonomie dans leur sexualité. De manière subtile et sans jugement, Yennifer Uribe Alzate explore cet éveil sexuel de Sandra qui redécouvre son corps. Ainsi, La piel en primavera est avant tout un film sur l’estime de soi, l’amour propre et l’importance de la liberté sexuelle des femmes, souvent un sujet tabou dans ces régions.
La trame est simple, centrée sur la routine d’une femme qui travaille et dirige son foyer. Les trajets de la maison au travail, du centre commercial à la maison, et des réunions ou fêtes, sont capturés par des plans fixes qui soulignent l’interaction de Sandra avec ces espaces. Les lieux dans La piel en primavera sont filmés du point de vue de l’héroïne : le bus, les contrôles dans le centre commercial, la cuisine familiale, l’arrêt de bus ou la zone des casiers des employés. Ces lieux deviennent des extensions de son état émotionnel. Le plan final, large et ouvert, marque une libération et une affirmation de son corps, en symbiose avec le quartier ou la ville.
Le film se concentre sur la transformation du regard que Sandra porte sur elle-même, un regard féminin que Yennifer Uribe Alzate considère essentiel pour aborder son désir, reléguant la présence masculine au second plan, comme le chauffeur qui lui fait la cour. Ce qui importe, c’est la redécouverte du corps, l’érotisation comme partie essentielle de l’auto-reconnaissance. Ce parcours peut sembler se limiter à la sexualité, mais c’est bien là la prémisse du film : cette auto-perception est accompagnée de scènes de camaraderie féminine, où il est question de masturbation ou d’achat de jouets sexuels. Par ailleurs, le film démontre la compatibilité entre le rôle de mère et celui de femme désireuse, sans recourir aux clichés habituels sur la violence ou l’oppression des femmes. Avec simplicité, Yennifer Uribe Alzate transforme Medellín en un lieu chaleureux où les femmes peuvent s’accomplir pleinement.