Pour la 7ème édition du Panorama du Cinéma Colombien, Le Chien qui aboie a organisé un après-midi spécialement consacré à la projection de 5 courts-métrages dévoilant des paysages, des récits et une partie de l’histoire colombienne trop souvent ignoréée par le grand écran : ceux des afro-descendants invisibilisés et silenciés. Dulce (2018) documentaire d’Angello Faccini et Guille Isa, Moriviví (2018) documentaire de David Aguilera, Maria de los esteros (2018) fiction de Eugenio Gómez, Yover (2018) fiction d’Edison Sanchez ainsi que Divinas melodías (2018) fiction de Lucas Silva composent la sélection des courts-afro-colombiens.
La Colombie est le pays hispanophone qui a le plus grand nombre de population afro-descendante en Amérique latine après le Brésil. Et cependant, la représentation de ces cultures n’est que trop récente. L’histoire nationale enseignée à l’école omet non seulement leurs traditions centenaires mais également leur rôle dans des événements majeurs de l’histoire colombienne, tels que l’abolition de l’esclavage, ou encore de l’inaction gouvernementale pour protéger cette population dans un contexte du conflit armé et du trafic de drogue. Néanmoins, les afro-descendants gardent un lien extrêmement fort à leurs traditions et des modes de vie qui résistent à la mondialisation de la société contemporaine. Ces récits s’éloignent de l’histoire andine des grandes villes colombiennes (Bogota, Medellin, Cali) pour aborder celle d’autres régions du pays; ce nouveau cinéma est une fenêtre sur les paysages humides, les fleuves, la jungle, les mangroves et les esprits magiques qui les habitent ; pour voir des populations qui se servent de leurs récits, de leurs chants et de leurs instruments pour résister.
La série des courts-métrages insiste sur la résistance des héritages ancestraux des diverses communautés afro-descendantes dans la région du Pacifique colombien. Chaque réalisateur s’immerge dans ces territoires pour enregistrer ce qui se vie à l’intérieur ; chacun construit une narration à partir du territoire et de ses récits. Maria de los esteros et Dulce montrent la tradition des « piangüeras » : groupe de femmes qui récolte les « pianguas » -sorte d’huîtres tropicales- des mangroves; Divinas melodias retranscrit le processus de fabrication de la marimba de chonta, ce «piano de la jungle» qui est élaboré par le marimbero et l’esprit malin et magique du duende -lutin-. Qu’ils s’agissent de documentaires, des fictions ou de courts expérimentales, tout se passe comme si la caméra devenait témoin-observateur de ce territoire de jungle humide où l’homme se déplace en canoë pour traverser fleuves et rivières avant d’arriver à la mer.
Les différents courts-métrages font apparaître des personnages qui, pour préserver leur héritage, pour préserver leur imaginaire et leur mémoire collective, mènent un combat quotidien pour résister. Maria reste dans le mangrove pour lutter contre l’oubli. Pédalant sur son vélo, Yover contribue à la reconstruction du récit de Bojayá, où les groupes armés ont effectué un massacre civil en 2002. Dulce apprend à nager pour se défendre contre les dégâts environnementaux de la mangrove. La famille de Moriviví résiste en choisissant de rester dans ce village qui ressemble à une cage, plutôt que de partir à la ville. Ces différents courts-métrages racontent non pas les récits traditionnels du passé mais les récits profondément actuels des populations afro-descendantes qui ont le désir et la volonté de rester enracinées dans leurs
territoires. Le geste des réalisateurs rend audibles et visibles les récits de ces populations, et fait entrer ces narrations dans le cinéma de manière à les reconnaître comme faisant partie intégrale de l’histoire colombienne. Les caméras de ces cinq réalisateurs se placent dans cet instant-là, dans cet interstice, dans cet espace entre un passé traditionnel et un futur destructeur.
Ces courts dressent le portrait de populations qui restent dans les territoires dont ils ont hérités. Ces cinq courts-métrages laissent voir les pratiques musicales comme celle des chants yoruba cubain, des alabaos du Pacifique et l’utilisation du marimba pour vaincre la nostalgie, l’injustice, l’oubli et le silence. Il s’agit de lever la voix et faire sonner les instruments et répandre ces chants ancestraux sur la jungle, l’humidité, les fleuves, le sable et les oreilles des -bons ?- de curieux à l’écoute. Il n’est pas anodin que Yover se termine par un chant des Alabaoras de Bojayá : ce groupe de femmes qui se forma le lendemain du massacre et qui fut invité pour lever ces voix contre l’oubli lors de la signature du processus de paix à Cartagena en septembre 2016.
Sofía Valdiri