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Autres mondes possible

Écrit par Juan Pablo Franky*

Journaliste culturel

Traduction par Gloria Elizabeth Rueda Delporte

Octobre 2023

Entre las sombras arden mundos
Ismael García Ramírez
Colombia/ 2023 / 20′

« Nous ne devons pas représenter la vie telle qu’elle est, ni telle qu’elle sera,
mais telle que nous la voyons dans nos rêves »

La Gaviota, Antón Chéjov 

Une nouvelle génération de réalisateurs de Medellín crée un cinéma qui offre un regard qui fait confiance et croit en l’existence d’autres mondes possibles. Au milieu de la violence et des stigmatisations infantilisantes, les jeunes de la capitale d’Antioquia regardent la réalité en face, mais sans l’éviter et, encore moins, sans avoir besoin de s’agenouiller devant elle. Des court-métrages récents comme Vienen las gritas (Daniel Mateo Vallejo, 2022) et Presagio (Juliana Zuluaga, Tiagx Vélez, 2022) offrent des univers qui résonnent entre des pulsations sensuelles et une force qui déborde de l’écran. Non loin de là, Entre las sombras arden mundos (Ismael García Ramírez, 2023), est un court-métrage qui surprend par sa capacité à résister par la tendresse, à faire confiance aux étreintes et à gommer par la complicité, la distance de ce que l’on croit être différent. Son postulat est bref et démontre amplement que le problème n’est pas seulement ce qui est raconté, mais aussi la manière dont c’est raconté. Une femme se dispute avec son mari et décide de se réfugier chez son fils, où elle trouvera un lieu de réconfort dans une nuit qui durera jusqu’à l’aube, où la danse, l’alcool et la marihuana seront le cocktail qui accompagnera l’union des âmes.

Entre las sombras arden mundos est une invitation à entrer dans un monde parallèle, à plonger dans une aventure qui doit être abordée sans préjugés. Il en va de même pour Ramona, notre héroïne au visage taciturne et toujours dans l’expectative, qui suit sans le savoir un chemin qui la conduira de manière inattendue à briser les fossés générationnels. Avant d’arriver chez son fils Julián, nous la voyons sérieuse à l’arrière d’un taxi, dont elle descend pour traverser un chemin où la prairie et les hautes herbes nous rappellent ces espaces de transition, cette entrée dans des univers mystiques dont, en sortant, nous savons que nous ne serons pas les mêmes que lorsque nous y sommes entrés. La rencontre avec son fils s’accompagne de cadeaux, les amis de ce dernier deviennent de parfaits acolytes qui aident le rituel des embrassades à devenir sincère et efficace, car ce sont eux qui invitent la mère dans le monde nocturne de son fils. À partir de ce moment, tout sera un flux naturel qui grandira, ici l’âge ne compte pas, ni les étiquettes, encore moins les chagrins ; la tendresse régira l’environnement, atténuant les fausses barrières que nous nous imposons lorsque nous regardons l’autre. Ramona partage ainsi avec son fils l’impuissance d’avoir choisi un mauvais mari qui s’est avéré être un mauvais père, mais au lieu de se morfondre dans la plainte et la douleur, ils sèment parmi les ombres et les danses la graine d’un pacte d’affection dans lequel se trouve les désirs les plus profonds de bien-être et d’amour.

Un court-métrage qui s’éloigne du réalisme grossier et dense pour laisser place à une image qui flirte avec le rêve, dans laquelle le noyau familial traditionnel laisse place à d’autres familles, à de nouveaux liens dans lesquels l’empathie prévaut et les contraintes sont brisées. C’est cet espace d’affection qui sera dignement considéré comme un lieu de refuge, un lieu de repos, un lieu où l’on peut se ressourcer pour affronter une vie pleine d’inégalités et de blessures. Il ne faut pas prendre ce court-métrage comme un simple hymne aux excès familiaux – et si tel était le cas, ce ne serait pas un non-sens – car à la fin, alors que le jour se lève, Ramona, en solitaire, observera depuis la terrasse où elle se trouve un Medellín nuageux, géant et gris, où chacun mène son propre combat. Nous ne savons pas ce qu’elle pense, mais nous savons ce qu’elle a vécu, nous partageons avec elle les subtilités des rires complices et des corps qui dansent. Nous pensons qu’une résistance basée sur l’affection est possible et que le passé n’a pas d’importance, pas plus que l’avenir, tant que la tendresse étreint les cœurs.

Un cinéma d’un autre monde émerge à Medellín. Des œuvres qui s’engagent dans des mondes différents, des espaces à venir, des lieux à explorer et à rêver. Des mondes qui naissent entre les brèches et présagent des transformations. Contrairement au long-métrage Anhell69 (Theo Montoya, 2022) qui, comme le note Pedro Ardían Zuluaga, est un film qui rend hommage à la mort en affichant son culte, le court-métrage de la capitale d’Antioquia démontre que la vie a encore des possibilités multiples et variées, et Entre las sombras arden mundos est le meilleur exemple de ces transformations à venir.

*Journaliste culturel. Programmateur du festival MIDBO (Muestra Internacional Documental de Bogotá). Coordinateur du AL ESTE Film Festival, Colombie. Coordinateur des publications pour le festival Cinemancia, Colombie. Consultant en programmation pour VLAFF (Vancouver Latin American Film Festival).